Il était une fois Léonce NGABO (Part II) : La naissance de « Gito l’ingrat »
« La grandeur des actions humaines se mesure à l’inspiration qui les fait naître », dit-on. Cette phrase pourrait paraphraser la carrière d’un des grands noms des arts et de la culture au Burundi. Un homme qui, au fil des ans, a inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire culturelle de ce pays. De « Sagamba Burundi » au FESTICAB, en passant par Gito l’ingrat, M. Léonce trimbale derrière lui une longue et riche histoire. Une de celles qu’il faut connaître et partager. Mesdames et Messieurs, il était une fois Léonce NGABO, l’homme à qui « presque » tout réussi.
La naissance de « Gito l’ingrat »
Fleuron du cinéma burundais, « Gito l’ingrat » est sans nul doute le symbole de cet art au pays du lait et du miel. Sorti en 1992, ce film aura permis de vendre le savoir-faire burundais dans le domaine du cinéma.
L’histoire de ce film commence en 1981. Léonce NGABO vient de finir ses études en Algérie et s’apprête à retourner au Burundi. Tout le long de son séjour, le jeune, passionné d’art qu’il était, avait gardé contact avec l’homme qui l’avait initié aux arts. Gilbert DUCARME, son professeur au collège Don Bosco à Ngozi. C’est lui qui va le motiver à faire un film. Ils travailleront ensemble sur l’écriture d’un scénario de court-métrage. « Gito l’ingrat » venait en fait de voir le jour. De retour au pays, Léonce se concentre sur la musique et son travail avec l’Amical des Musiciens du Burundi (AMB), mais continue à mûrir le scénario de son film.
Tournage de « Gito l’ingrat » (Images d’archives) ©DR
Ce rêve de film va véritablement prendre vie en 1990 lorsque Jacques SANDOZ, producteur suisse, débarque au Burundi faire du repérage pour un de ses films. Jacques va contacter Léonce par le truchement de Frédéric NGENZEBUHORO, alors Ministre de la Culture. Il va lui proposer de financer son film et de le porter au grand écran. Leur rencontre scellera le destin de « Gito l’ingrat » en faisant de lui le premier film burundais sur grand écran. Le film, qui à l’origine devait être un court métrage muet de 10 minutes, sortira en long-métrage en 1992 et marquera un pas très important dans l’histoire du cinéma burundais.
« Après être parti avec le document écrit de mon film, le producteur m’a fait appeler le lendemain. Il m’a posé des questions sur mon film. Il voulait savoir si j’étais d’accord qu’il le produise et que l’on en fasse un long-métrage. 24h plus tard, je signais un contrat. En signant, j’hallucinais presque en voyant le montant total de la production qui avoisinait les 100.000$ de l’époque. Le simple Directeur à 30.000 Fbu de salaire n’en revenait pas. Nous avons tourné le film en 1991 à Bujumbura. C’était un grand évènement. Moi je vivais un rêve et je me laissais emporter sans trop comprendre ce que je vivais. Jusqu’à sa sortie en 1992. Un grand moment », raconte Léonce NGABO, encore ému après près de 30 ans.
Comme le dit Léonce NGABO, ce film va littéralement changer sa vie. Il passera de Directeur de l’Institut National de Télécommunication à la star africaine du cinéma. « Gito l’ingrat » aura sillonné la planète. Du Burkina Faso à la Tunisie, de la France à l’Italie en passant par la Belgique, ce film aura gagné de nombreuses distinctions. Parmi elles, les Prix Émile Cantillon et Prix de l’ACCT au Festival International du Film Francophone, Belgium (1992), le Prix Hani Jahvaria et Prix de la Presse ATCE au Carthage Film Festival, Tunis (1992), le 2e prix, section des Jeunes, Cannes Films Festival, France (1993) ou encore le prix du Meilleur film – Prix du Jury au Lisboa Film Festival, Portugal (1993). « Gito » aura rendu Léonce NGABO riche et célèbre. Il lui aura surtout permis de rencontrer du monde et faire la connaissance du cinéma africain.
Tournage de « Gito l’ingrat » (Images d’archives) ©DR
« Gito m’a appris à découvrir des pays, à découvrir aussi le cinéma africain. Parce que dans tous les festivals où j’allais, je retrouvais des concurrents africains. Tous ces prix m’ont également permis de devenir millionnaire en francs burundais à ce moment-là. J’ai gagné beaucoup d’argent et j’ai pu investir dans d’autres choses. Et une chose est sûre, le cinéma m’a ouvert des portes vers une autre carrière. Une carrière que je poursuis jusqu’à ce jour ».
Le succès de ce film avait motivé le producteur à financer un second film. Celui-ci sera écrit, mais ne sera jamais tourné puisqu’en 1994, Léonce va quitter le Burundi pour une longue période d’exil.
Parlons FESTICAB
Le succès de « Gito l’ingrat » avait laissé une empreinte importante chez Léonce NGABO. Après avoir sillonné le monde, découvert de nombreux festivals, il avait gardé le désir de donner au Burundi son propre festival de cinéma. Et après plus de 10 ans d’exil, il revient au pays avec cet objectif. Après avoir passer du temps à le préparer, le Festival International du Cinéma et de l’Audiovisuel du Burundi voit le jour en 2008. Même si le Burundi de l’époque ne produit pas vraiment de films, le festival va mettre en avant les productions audiovisuelles de l’époque. Spot publicitaire, publi-reportage ou clip vidéo étaient à la programmation de ce festival.
Remise du prix du meilleur long métrage burundais, Festicab 2019 ©Akeza.net
« Avec le succès de Gito l’ingrat, j’ai fait le tour du monde et les prix que je recevais m’avaient encouragé. Je me suis donc dit qu’il serait bien de créer un festival chez nous. À mon retour au pays en 2006, je tenais à ce que l’on ait notre propre festival. Certaines personnes ne comprenaient pas ma logique parce qu’ils se disaient que l’on ne pouvait pas organiser un festival avec un seul film. Mais je me suis dit que l’on allait faire un premier festival où on allait avoir tout ce qui se produit en termes d’audiovisuel, puisque les pubs, les clips vidéos sont des œuvres créatives. J’ai eu l’appui du Ministre de la Culture de l’époque, M. Jean-Jacques NYENIMIGABO et de M. Gilles VAUBOURG, conseiller à l’Ambassade de France au Burundi en charge de la coopération. J’ai pu également trouver des sponsors ici et là et nous avons pu faire une première édition de trois jours. Et c’est comme ça que tout est parti. Et moi qui pensais à le faire tous les deux ans, je me suis retrouvé à le faire tous les ans »
Ce petit pas qui a donné naissance à un festival qui dure depuis plus de 10 ans aujourd’hui. Le FESTICAB compte aujourd’hui de nombreux partenaires internationaux. Notamment, le FESPACO (Burkina Faso), les Journées Cinématographiques de Carthage (Maroc), le Luxor African Film Festival (Egypte). Il est aussi membre de l’Est African Film Network, une structure initiée par Léonce NGABO et qui met en réseau les professionnels du cinéma de la région est-africaine.
Autant dans la musique que dans le cinéma, Léonce NGABO laisse une empreinte marquante dans l’histoire de cet art au Burundi. Et pour Léonce, l’histoire est loin d’être fini.
A suivre…
Moïse MAZYAMBO
Source :https://akeza.net/il-etait-une-fois-leonce-ngabo-part-ii-la-naissance-de-gito-lingrat/